Impressions de campagne

Publié le par Peio Etcheverry Ainchart

Impressions de campagne

 

 

 

 

 

 

Nous sommes à quelques jours du premier tour de l’élection législative, la campagne touche à son terme. Certes, selon le sage précepte « on ne fait pas en même temps le bilan de la campagne et la campagne », je ne me permettrai pas de préjuger des résultats que la coalition Euskal Herria Bai obtiendra dimanche soir. Je souhaite juste donner mes impressions à chaud, afin de pouvoir les comparer dans quelque temps, une fois ces résultats connus et leurs éventuelles conséquences politiques sereinement mesurées.

 

 

 

 

Une expérience nouvelle

Car cette élection n’est pas comme les autres. Pour la première fois depuis la scission de 2001, Batasuna et AB se présentent ensemble, en une coalition partie à quatre et finalement poursuivie à trois avec EA. Cela faisait longtemps qu’on en parlait, de cette soi-disant « unité » du mouvement abertzale, du moins de sa branche de gauche ! Car unité il n’y a pas et loin s’en faut : de profondes divergences persistent tant sur la philosophie politique que sur la stratégie, et elles mettront probablement du temps avant de s’estomper. C’est d’ailleurs en cela qu’il ne faut pas confondre les mots « unité » et « coalition » ou « travail en commun », le premier induisant un seul et même mouvement, les seconds signifiant un accord en un temps donné et pour un projet donné. C’est ce dernier qui connaît aujourd’hui l’épreuve du feu, élément capital qui permettra de dire si l’expérience est concluante et doit ou non être reconduite à l’avenir. En ce sens déjà, à mes yeux cela ne pouvait être qu’une aventure intéressante : le monde abertzale serait-il capable de travailler ensemble, d’établir un programme commun, d’agir en bonne intelligence et en harmonie ?

 

 

Là réside le premier enseignement personnel que j’en retire, que je suspectais sans pouvoir réellement le prouver : c’est le niveau d’engagement dudit monde abertzale. Cette campagne commune appelée des vœux de tant de gens en Iparralde, exigée à grand renfort de pétitions dans la presse, d’articles d’opinion, de leçons de morale autorisées, est en fait tenue dans chaque circonscription par une poignée de militants, ceux-là mêmes qui font déjà vivre les partis représentés dans la coalition. Où sont ceux qui signaient les pétitions ? Ce sont souvent les plus discrets qui viennent aux réunions et sont là pour coller les affiches, distribuer les tracts,… voire accepter d’être candidat. Car telle est la stupéfiante schizophrénie du monde abertzale, qui tient tout autant à donner son avis et à peser sur les choix qui seront faits en son nom, qu’à s’autoriser à ne pas s’impliquer par la suite dans la concrétisation de ces choix, mieux encore à se sentir assez libre et détaché pour les critiquer quand même.

 

Il n’y a que ceux qui ne font rien qui sont à l’abri de toute critique.

Car que n’entend-on pas sur tel ou tel aspect de la campagne ! Certes, chaque tendance aurait probablement fait autrement si elle s’était présentée seule. L’implication de ses membres s’en serait-elle trouvée plus grande ? J’en doute, y compris parmi ceux qui l’auraient souhaité. Au moins la mutualisation des forces, tant en termes de contenu politique que de moyens financiers et humains, permet ici une campagne incontestablement dynamique. Et puis cette expérience commune permet de mesurer sans risque électoral majeur l’étendue de ce qui nous rassemble ou de ce qui nous divise, d’évaluer la justesse de nos préjugés, de voir si la confiance mutuelle qui nous manque cruellement depuis 6 ans peut se reconstruire peu à peu. Car fondamentalement, que le choix de la coalition se révèle bon ou mauvais, n’est-il pas évident pour tous le fait que l’avancée de l’abertzalisme ne pourra pas se passer d’une bonne entente entre ses composantes ? N’est-on pas déjà passé par cette étape, et donc par ces doutes, lorsqu’il a fallu s’entendre entre militants d’EMA, EB, HA et tant d’autres pour créer AB ? Avec le recul, l’effort nécessaire et salutaire d’hier n’est-il pas celui d’aujourd’hui ?

 

 

Là réside mon second enseignement personnel dans cette campagne. Oui, il y reste un bon nombre de divergences de points de vue sur les choses, souvent liées à des cultures politiques devenues différentes au fil des années. Oui la réalité quotidienne, une fois sortis des élections, nous fera probablement retomber dans les oppositions stratégiques de fond qui n’ont pas disparu comme par enchantement. Oui le contexte politique général en Pays Basque peut peser sur le présent et sur l’avenir, en bien comme en mal. Personne, ni à AB, ni à Batasuna, ni à EA, n’est dupe ou innocent.

 

 

 

 

 

Transformer l’essai

Mais oui aussi, je le revendique et le souligne, personnellement je prends plaisir à redécouvrir certains militants avec lesquels les ponts avaient longtemps été coupés, et à travailler avec eux. Oui, c’est agréable et stimulant d’échanger, d’éclaircir sereinement certains malentendus, et de voir que même si beaucoup d’entre eux persistent et sont loin d’être réglés, cela n’entrave pas les rapports humains et l’entente autour de points politiques fondamentaux. On est différents, mais chacun présente et apporte ses compétences, largement complémentaires, et qui mises en commun donnent… ça. Qu’elle soit jugée bonne ou mauvaise, que ses résultats finaux soient bons ou mauvais, cette campagne est une étape importante dans le dépassement de la scission, dans sa digestion.

 

 

 

Les autres enjeux, beaucoup plus politiques, de ces législatives, ont largement été développés dans d’autres chroniques ou articles d’opinion, je ne voulais donc pas y revenir. Mais il me semble que l’aspect humain de la campagne est tout aussi fondamental au moment de se mobiliser pour aller voter. Un bon résultat est déjà important pour valider le choix électoral de la coalition. Mais même si l’avenir devait connaître des hauts et des bas, même si le choix de la coalition laisse certains perplexes, un bon résultat est néanmoins capital pour reconstruire peu à peu la confiance et l’entente nécessaire entre abertzale, montrer qu’ils sont possibles. Transformons l’essai, bozka dezagun abertzale !

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